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Titel
La presse romande.


Autor(en)
Clavien, Alain
Erschienen
Lausanne 2017: Antipodes
Anzahl Seiten
203 S.
von
Nelly Valsangiacomo

Spécialiste reconnu de l’histoire de la presse et tout spécialement de la presse romande sur laquelle il a publié différents ouvrages et de nombreux articles, Alain Clavien nous livre une synthèse d’environ 200 pages sur ce domaine d’étude et nous propose une analyse entre les cantons et les régions qui composent la Suisse romande, en suivant les caractéristiques du territoire (différences religieuses, zones urbaines et rurales, etc.).

De la feuille d’avis jusqu’à la naissance des grands groupes médiatiques, la mutation de la presse est étudiée tant dans ses pratiques éditoriales, journalistiques et techniques, que dans sa matérialité et ses contenus, en passant par l’étude des sensibilités des lecteurs et (bien plus tard) des lectrices. Cette large perspective qui couvre la période allant de l’Ancien Régime à nos jours nous permet de saisir les imbrications politiques et économiques sous-jacentes à l’évolution de ce média et leurs enjeux.

Les huit chapitres de l’ouvrage marquent la périodisation choisie à la croisée des aspects techniques et culturels et des phénomènes sociopolitiques, en commençant par l’Ancien Régime qui voit d’importantes difficultés juridiques pour la création d’un journal qui souhaiterait dépasser la feuille composée de petites annonces. Cependant, les nouveaux journaux permettent l’émergence d’un public et de pratiques de lecture qui se consolideront pendant la République helvétique, «moment fondateur» pour la presse suisse, entre épisodes de liberté et de censure plus rigoureuse, selon les cantons. La Restauration de 1815 fait apparaître un phénomène par la suite régulier sur le sol helvétique, celui des publications des exilés, dont la présence influencera toute la presse, qui va à son tour se développer véritablement entre 1830 et 1870, tant par le nombre considérable de nouveaux titres (le tableau en annexe, à la p. 200, donne une belle vision d’ensemble), que par la «métamorphose de l’objet»; de plus en plus, la forme s’éloigne de celle d’un livre, et les quotidiens commencent à apparaître. Surtout, le journal devient un moyen d’action, une arme politique.

Si ces trois premiers volets esquissent la naissance de la presse, c’est à partir du quatrième chapitre que toute la richesse et la complexité du média journal se révèle. Deux âges de succès s’enchaînent, avec une augmentation nette des lecteurs. La période entre 1870 et 1910 voit «les prémices de la culture médiatique qui est la nôtre aujourd’hui» (p. 96), avec l’émergence de la presse commerciale, des spécialisations thématiques et l’invention du métier de journaliste. Les cartes aux pages 66 et 67 montrent la diffusion et la démultiplication des journaux en Suisse romande (de 60 à 110 en quarante ans), qui se structurent et se hiérarchisent par rapport au territoire. Pendant la parenthèse de la Grande Guerre, les journaux helvétiques, toujours en expansion, sont confrontés aux différentes stratégies des pays belligérants qui essayent d’en exploiter le potentiel de propagande. Par la suite, jusqu’aux années 60, la stabilité structurelle et économique, ainsi qu’un renouvellement réduit entre 1920 et 1950, caractérise le monde de la presse, tandis que le paysage médiatique est enrichi par l’arrivée de la radio et des hebdomadaires.

Crises (1960–1980), reconfigurations (1980–2000) et grandes mutations (2000–2015) investissent les derniers chapitres qui nous plongent dans les changements qui vont redessiner le champ médiatique en Suisse romande, avec notamment un basculement de tendance: si entre 1830 et 1940, le jour était à l’expansion des titres de journaux, désormais c’est la redéfinition et la fusion qui priment, en lien avec la radio et l’essor de la télévision comme puissants vecteurs du débat politique. En outre, le processus coûteux de modernisation des imprimeries redessine la géographie des journaux autour des outils de production, tandis que les titres se hiérarchisent entre quotidiens et journaux d’appoint et que la presse politique continue son mouvement de marginalisation.

L’eldorado publicitaire, dès les années 1970, avec des recettes qui peuvent atteindre 90 %, permet de couvrir les frais de fonctionnement toujours plus chers. Cette manne publicitaire est à l’origine de l’implantation du journal gratuit, souvent en tant que supplément hebdomadaire du quotidien. La dépendance de la publicité ne va pas sans une discrète autocensure chez les rédacteurs en chef et les journalistes qui doivent dorénavant composer avec les «réalités financières» (p. 141).

Enfin, la dernière et très riche partie nous plonge dans l’histoire immédiate de la naissance des entreprises médiatiques et du rôle de la publicité qui, en ayant habitué le lecteur à payer son information moins qu’une tasse de café (p. 150), participe à une dépendance certaine des journaux, et donc des journalistes, aux annonceurs.

L’arrivée d’Internet bouleverse complètement le champ médiatique et conduit à sa désindustrialisation. Dans un monde hyperconnecté, l’accès à l’information change et se veut de plus en plus faussement gratuit. Les journaux deviennent un produit parmi d’autres, mis sur le marché par des groupes multimédias «financiarisés», qui réduisent drastiquement leurs capacités et vident les rédactions: le communiqué de presse remplace l’approfondissement, les journalistes sont interchangeables et on commence à envisager leur remplacement par un algorithme. L’épilogue qui s’arrête sur la fermeture de l’Hebdo en 2017 mérite une attention tout aussi grande que le reste du livre.

Dense et détaillé, avec une structure claire, qui nous permet de bien comprendre la complexité du phénomène, et accompagné de schémas très pratiques, cet ouvrage nous offre une riche vision d’ensemble de l’évolution de la presse en Suisse romande, ponctuée d’exemples précis, tout en restant d’une lecture fluide et surtout très utile pour les historiennes et historiens, dont les pratiques sont aussi influencées par les changements médiatiques.

Zitierweise:
Valsangiacomo, Nelly: Rezension zu: Clavien, Alain: La presse romande, Lausanne 2017. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 72 (1), 2022, S. 161-162. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00102>.

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